Essai philosophique sur la substance en mouvement

Aujourd’hui, je consacre une grande partie de mon temps à la réhabilitation du corps dans sa dimension sensible. Cette recherche passionnante a donné lieu à l’émergence de nouvelles disciplines, la somato-psychopédagogie, la psychopédagogie perceptive, qui ont largement fait l’objet de travaux universitaires, de communications et de publications. Cependant, si un grand nombre de concepts et pratiques liés au paradigme du Sensible ont trouvé un ancrage scientifique, d’autres concepts demandent à être davantage cernés et parmi eux, on compte le concept « du mouvement interne » qui se trouve pourtant être au fondement du paradigme du Sensible.

Le mouvement interne a fait l’objet de nombreuses explorations sous l’éclairage de l’expérience vécue rapportée par les personnes exposées aux pratiques du Sensible. Lors des différentes recherches qualitatives qui ont été menées dans le centre de recherches appliquées en psychopédagogie perceptive (CERAP), nous avons relevé de nombreux témoignages qui vont en faveur de la présence d’un mouvement interne animant la matière du corps. J’ai par exemple le souvenir, lors de ma recherche doctorale qui avait pour vocation d’étudier l’impact de la relation au corps sensible sur les représentations, d’avoir relevé 27 témoignages sur 28 participants à ma recherche, la notion de mouvement interne et de ses différentes manifestations.

À l’époque de ma soutenance de thèse, je n’avais pas choisi d’aborder frontalement ce phénomène qui était pourtant décrit chez la quasi totalité des participants, étant dans une université à dominante positiviste, je m’étais limité à qualifier ce phénomène d’« étrangeté perceptive ». Je n’avais pourtant pas le sentiment de m’extraire de la science, considérant que la démarche scientifique ne pouvait ignorer ce qui émane de l’expérience intime. Je rejoignais en cela le point de vue de Maine de Biran : « Si l’existence du sujet est un fait intime, il ne serait pas scientifique de l’ignorer sous prétexte qu’on ne le rencontre pas dans le monde des objets connus par les sens externes ». (cité par Gouhier, 1970).

Aborder de façon frontale, l’expérience du mouvement serpentant dans l’intériorité d’un corps, c’est prendre le risque de la controverse de la part des personnes non averties « des choses philosophiques » qui ont la tendance à assimiler les questions de l’Être, de l’essence, de la substance à de l’ésotérisme. Pourtant ces données sont le cœur même de la philosophie, je reconnais qu’il est complexe d’y voir clair, dans la mesure ou chaque philosophe a tendance à poser sa marque et sa distinction. Aussi, dans ce contexte d’écriture, je me contenterai d’offrir la vision la plus simple et compréhensible. Ainsi, l’essence désigne « ce que la chose est » par opposition au concept d’existence qui lui, définit « l’acte d’exister ». En fait, pour synthétiser, la nature, l’essence, la substance, ont toutes un point commun, elles portent la marque de l’absolu en tant que chacune d’elles existe en elle-même et par elle-même, indépendamment de toute intention et de toute cause première. Elles n’ont ni commencement ni fin.

Si aucune théorie scientifique, n’est en mesure d’expliquer la présence d’un mouvement substantiel universel susceptible d’animer la chair, la philosophie donne des pistes prometteuses de compréhension offrant un terreau dans lequel il est encore possible de semer des graines aventurières et audacieuses.

Séquence philosophique

J’ai bien conscience que la philosophie est ardue à saisir de par la complexité de son langage. Lors de mes premiers pas dans cette discipline, je trouvais effectivement que la forme cachait souvent le fond, n’ayant pas compris tout de suite que la philosophie est d’abord un contre-pied aux idées reçues, aux représentations bien campées. À une certaine époque, j’avais une réelle tendance à parler essentiellement du fond, du fait probablement de mon intérêt naturel à l’immanence. Avec la philosophie, je découvrais la transcendance, prise ici dans son sens étymologique le plus large. Je découvrais avec étonnement au contact de la pensée des philosophes, que mes idées sur les choses étaient enserrées dans une enveloppe ténue retenant le mouvement d’ouverture de mon esprit. Je rencontrais alors une véritable tension avec le monde des idées et je souscrivais au propos de Bergson : « Ne prétendons pas rétrécir la réalité à la mesure de nos idées alors que c’est à nos idées de se modeler, agrandies, sur la réalité » (1934, p. 237).

La philosophie explore parfois en profondeur certains phénomènes qui échappent aux sciences dures. Tout en prenant soin de ne pas tomber dans le piège du subjectivisme, du psychologisme, Husserl fondait la phénoménologie comme une science des phénomènes qui surgissent dans l’expérience se donnant sous la forme d’un ensemble de significations vécues susceptibles d’être saisies, observées, et analysées en revenant à la chose elle-même.

Au décours de ma démarche, je me découvrais une réelle disposition pour la perception, aptitude que je partageais avec Maine de Biran : « Je suis par ma nature, doué de l’aperception interne, et j’ai pour ce qui se fait au dedans de moi, ce tact rapide qu’ont les autres hommes pour les objets extérieurs » (cité par Bégout, 1995, p.15). Avec Maine de Biran, je découvrais une philosophie de la subjectivité, ou comme le précise Bégout : « rien n’est avancé qui ne soit soumis à l’épreuve du vécu, mais non le vécu quotidien qui se borne à émettre un jugement sur ce qui lui arrive, à trier le bon ou le mauvais, mais le vécu en quelque sorte transcendantal, celui qui s’aperçoit distinct de l’objet considéré comme source immanente d’évidence et de science ». (Bégout, 1995, p. 15). La transcendance doit être ici, considérée comme un acte de mise à distance qui aboutit en quelque sorte à une élévation de surplomb envers l’objet intérieur dont la source est immanente.

Le cogito de Maine de Biran, « je sens que je sens », dépasse l’acte de sentir, de percevoir, de penser, et implique un sujet actif qui s’aperçoit ressentant, percevant, pensant. Le terme sentir s’étend à ce que nous pouvons éprouver, apercevoir ou connaître en nous et hors de nous, dira Maine de Biran. Dans ce contexte, le terme sentir désigne cette sorte de vue intérieure par laquelle l’individu perçoit ce qui se passe en lui-même. La qualité première de la perception est d’être l’organe le plus expert dans la saisie des phénomènes qui surgissent de la sphère de l’immédiateté. On l’aura compris, il ne s’agit pas de percevoir le monde extérieur. La perception dont il est question est dévouée aux phénomènes qui surgissent en temps réel de l’action de percevoir l’intériorité du corps. Nous pénétrons dès lors dans l’univers de la phénoménologie par la description directe de l’expérience où se tient un sujet qui habite un corps. Là aussi, il s’agit d’une philosophie transcendantale en tant que le sujet s’élève au dessus de son mode de perception habituelle en le mettant en suspension. Mais c’est aussi une philosophie de l’immanence en tant que le sujet éprouve ce qu’il vit dans son corps. Dans ce contexte, le corps n’est pas conçu par entendement, ni comme corps pensé ou corps en idée. Il s’agit d’un corps d’expérience vécue. Ce phénomène, prolonge le projet de Merleau-Ponty de créer une philosophie qui se devait explorer le lin charnel entre corps et esprit : « la notion essentielle pour une telle philosophie est celle de la chair qui n’est pas le corps objectif, qui n’est pas non le corps pensée par l’âme (Descartes) qui est le sensible au double sens de ce qu’on sent et ce qui sent. Dans cette perspective le corps devient réceptacle du monde et incarnation d’une subjectivité qui participe à la gnosie » (1995, p 313).

Descartes pour qui le corps est simple étendue, distingue la substance de l’étendue et la substance de la pensée et dans ses méditations métaphysiques interpelle : « qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est une chose qui doute, qui conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui sent » (1990, p.62). Cependant il précise dans le discours de la méthode que pour bien conduire sa raison « il était besoin d’avoir quelque extraordinaire assistance du ciel, et d’être plus qu’un homme » (1999, p.15). Je retenais, en résonnance avec ce texte, que la diversité d’opinions vient de ce que nous conduisons la pensée : avoir une pensée prompte, une pensée claire et distincte, ne rien croire trop fermement, s’éprouver soi même, et avoir tout loisir de s’entretenir avec sa pensée. Je tentais de m’imposer cette discipline de la pensée en y associant la perception phénoménologique grâce à laquelle j’explorais un lieu du corps que je localisais à la fois en dedans et en dehors de ma chair. Dans cet interstice infini, se donnaient des pensées spontanées, jaillissantes, immédiates, non réfléchies et dont l’incarnation m’offrait une pensée ressentie non conduite.

Aujourd’hui, en raison de ses caractéristiques, cette pensée prend le nom de pensée du sensible. Et c’est à partir d’elle, que j’ai saisi les significations de la pensée mouvante animée de mouvements sortants (transcendants) et rentrants (immanents) que la conscience capte en temps en temps réel de l’acte de perception. Cette pensée en mouvement se rapproche de l’intuition immédiate de Bergson, elle est animée de l’élan vital donnant à la « substance pensante » une puissance d’agir qui traverse « la substance de l’étendue » sous la forme d’une substance en mouvement dans la chair.

En ce qui concerne la substance, cette donnée m’avait attiré en pleine métaphysique, je vivais le sentiment étrange de plonger dans un espace sans limite, vécu dans un lieu de soi, qui n’était ni à l’intérieur du corps ni en dehors de celui-ci, et à partir duquel je découvrais j’éprouvais le Un dans une Totalité mouvante et immobile à la fois. Expérience semblable à la pensée poétique de T.S Eliot, « dans un lieu suspendu du monde en rotation. Ni chair ni esprit (…) mais ni arrêt ni mouvement. Et n’appelez pas cela fixité.(…) il n’y aurait pas de danse, il n’y a que de la danse. Le terme qui s’est imposé à mon esprit pour désigner ce phénomène vécu, a été « Substance en mouvement » (Bois, 2001, p. 140)

Hegel dans ses « leçons sur l’histoire de la philosophie », tome VI ne disait rien de la présence d’un mouvement incarné, cependant, il me renseignait sur la nature de la substance : « la substance absolue, est le vrai, mais elle n’est pas encore le vrai en son entier, il faut qu’elle soit pensée comme active en soi, comme vivante » (Bitbol, 2014, p. 294). Je comprenais avec Hegel, que la substance porte en elle une puissance d’agir et qu’elle ne peut être enfermée en des formes d’entendements qui ramèneraient la substance à une configuration qui serait trop statique. La substance de Spinoza est l’éternel, il l’entrevoit comme une représentation de Dieu tel qu’il est avant la création de la nature. La question de Dieu reste omniprésente chez Spinoza, dans son œuvre fondamentale qu’il a achevée peu de temps avant sa mort, L’éthique, il associe étroitement la substance et Dieu en ces termes : « Dieu est cause des choses qui sont en lui (…) en dehors de Dieu, il ne peut y avoir aucune substance » (1985, p.44).

Avec Héraclite nous avons accès, aux procédés qu’il déploie pour saisir le mouvement et la permanence : la pensée doit s’accorder au mouvement et l’âme dont la propriété naturelle est de se mouvoir, conditionne le devenir. L’homme qui s’est ainsi ressaisi accède à l’harmonie et à la sagesse. Héraclite postule pour une psyché possédant un logo qui s’accroit de lui-même, dans lequel le corps, l’âme et l’esprit, conformément à leur nature unitaire, sont orientés vers la reconnaissance du vrai. Dans ce contexte la reconnaissance du vrai est apparentée à la saisie de l’unité de la totalité, homologue de la grande nature, là, où, « de la totalité nait l’unité et de l’un le tout »

Avec Spinoza, le procédé utilisé est plus complexe à saisir, Spinoza est à la fois un « penseur qui pense » et un « penseur qui sent ». Il reste que la prise en compte des idées des affections du corps apporte un éclairage sur les moyens employés : « car l’esprit ne se connaît lui-même qu’en tant qu’il perçoit les idées des affections du corps ». (1954, p.111). Il fait la distinction entre le « sentir » et le « vouloir » qu’il aborde de façon séparée, l’un après l’autre et pas ensemble, mais il construit des passerelles entre ces deux attributs en l’absence desquelles les idées seraient inadéquates. D’où suit que Spinoza promeut le Sentir au même rang que le vouloir : « je ne vois nullement pas pourquoi la faculté de vouloir doit être dite infinie plutôt que la faculté de sentir ; en effet, de même que nous pouvons avec la même faculté de vouloir affirmer une infinité de choses (l’une après l’autre, car nous ne pouvons pas pouvoir affinité de choses à la fois), de même aussi, avec la même faculté de sentir, nous pouvons sentir, autrement-dit percevoir une infinité de corps (l’un après l’autre bien entendu). » (ibid., p. 137).

Au-delà de ces enjeux autour de la substance et du mouvement, je trouvais que Bergson se rapprochait le plus de ce j’appelais dans les années 80, la dynamique vitale. (1984). Parmi tous les philosophes, Bergson est probablement celui qui m’apportait le plus d’éclairage sur la présence d’un principe actif animant la matière, avec l’élan vital comme source de vie et comme force qui traverse la matière. Cette référence allait dans le sens d’une puissance créatrice qui se donne sous la forme d’une poussée interne portant la vie dans une direction donnée et selon un processus évolutif vers l’ouverture spirituelle. Bergson introduit aussi dans sa philosophie la Durée, qui me semblait en phase avec ma recherche de la subjectivité, car elle désigne d’une part, la valeur subjective de l’expérience intérieure relevant de l’élan vital, réalité unique et universelle, et d’autre part, la succession ininterrompue de changements au cœur de la matière dans un geste de conscience capable de saisir la subjectivité pure en coïncidence avec la pure intuition immédiate. « À chaque moment de notre vie intérieure correspond un moment de notre corps et de toute la matière environnante qui lui serait simultanée. Cette matière semble alors participer de notre durée consciente » (Bergson, 1968, p. 56). En rentrant en elle-même et en sondant sa propre profondeur, Bergson pour une conscience qui s’engage au cœur de la matière et de la vie « La matière et la vie qui remplissent le monde sont aussi bien en nous ; les forces qui travaillent en toute chose, nous les sentons en nous (Ibid., p137).

La relation de réciprocité

Nous venons de poser les premières pierres d’un édifice qui commence à prendre forme et qui porte l’esquisse d’un premier sens pour mon projet : donner une assise philosophique à la substance en mouvement. Pour l’heure nous savons que mouvement et substance sont du domaine de l’absolu et que les moyens déployés par les deux philosophes empruntent une dialectique qui ouvre la voie à un discours davantage pensé que vécu. Face à ce constat, il me semble légitime de s’interroger sur la possibilité d’instaurer une relation avec la totalité de l’Être autrement que par l’entendement.

C’est donc en résonance avec le texte de Buber que je vous fais découvrir la réciprocité en action. Elle m’a suscité une présence réactive, bondissante me projetant dans ce quelque chose de familier à mes expériences passées et présentes. Ouverture à l’existence qui ouvre un aperçu sur la vie spirituelle. J’ai pris appui sur ma relation à la substance en mouvement pour dévoiler cette belle relation qui donne plus à vivre qu’à penser, plus à être qu’à devenir. J’ai pris à mon compte, pour la circonstance, la dialectique de Buber, car je n’ai pas trouvé de meilleure façon de partager la source de vie qui jaillit du fond de la conscience universelle, là où la profondeur tutoie l’expansion, jusqu’à devenir un dans la totalité, ultime réciprocité. Mais j’y ai mis mon grain de cœur pour métisser la perception et la conscience, qui n’ont de frontières que l’ignorance.

Martin Buber, philosophe de la réciprocité, offre une attention très particulière à l’existence humaine tout en fondant sa réflexion sur une vision métaphysique du monde. Son langage se fonde sur des mots principes tels que le Je-Tu ou le Je-Cela. Le premier mot principe Je -Tu désigne la qualité de la relation qui touche réciproquement l’essence de l’être des acteurs de la relation. Au cœur de cette réciprocité la conscience de l’un est intensément concernée par celle de l’autre. Le second mot principe Je-Cela répond au monde des objets où l’homme devient objet parmi les objets soumis à la norme de la société et de la relation habituellement admise voire même revendiquée, devenant du même coup un être isolé, assujetti à la connaissance pratique et d’usage. Et même si Buber, admet que l’homme doit vivre dans le Cela, il ne peut se limiter à cela, au risque de n’être jamais pleinement un homme. Cependant Buber n’ignore pas, qu’il existe aussi un Tu qui se laisse entraîner dans le monde des choses, voire devenir une chose parmi les choses, il appelle à préserver le contact avec son être propre, car c’est dans ce contact avec ce Tu, que nous sentons passer le souffle de la vie éternelle.

Ce qui nous occupe ici, est bien entendu la dimension métaphysique, on l’aura compris avec Héraclite, Aristote, puis Buber, l’homme doit s’élever pour cheminer vers la vérité en tant qu’elle exprime l’absolu, l’essence de la totalité de l’Être. Le Tu de Buber, n’est pas simple relation avec autrui, il ouvre à une relation plus large remplissant l’horizon et incluant l’univers : « Celui qui se porte en son entier à la rencontre de son Tu, et qui implique en son Tu l’être entier de l’univers, celui là trouve l’Être, qu’on ne peut chercher. » (p.113). Cette pensée intrigue, car Buber invite à se saisir de soi, le Tu n’est pas un extérieur a soi, il est à l’intérieur de chaque homme, qui par défaut de présence à l’Être propre, a fini par devenir « un autrui de soi » ignoré en conscience. Le Je, navigue alors dans un monde extérieur chosifié, (le Cela) où la relation vraie n’est pas présente. Pour conjurer cette triste condition, Buber restaure la relation avec l’autrui de soi, (le Tu) où siège justement la conscience universelle. Ainsi La relation vraie implique le couple Je-Tu, lieu qui ouvre la voie à la relation éternelle terreau de la conscience universelle. Dans ce cadre, il ne sert à rien de rechercher ailleurs ce qui se trouve en soi, et Dieu n’échappe pas à cette règle, par conséquent : « Il ne sert à rien de le rechercher, car Dieu n’est pas une chose, un objet, un cela par un processus cumulatifs de connaissances et de propriétés » (2012, p. 20).

Dans la relation à Dieu, Buber précise : « l’exclusivité absolue et l’inclusivité absolue se confondent » (Ibid. p. 113) dès lors, la conscience absolue n’est plus conscience de quelque chose, la conscience universelle est sans enclos, sans concept, ni aucun savoir. Elle est la totalité. Il n’y a pas chez Buber, « un Dieu dans le monde » formule qui ramènerait au Cela, le Dieu qu’il décrit est « un tout autre » tout en portant « le mystère d’évidence qui m’est plus proche que mon moi » (Ibid. p. 114) .

L’instant de la contemplation révèle la vie éternelle et élève l’esprit de la personne, et cette rencontre trouve son accomplissement dans la relation à autrui et au monde. L’attitude relationnelle change et la conscience se tourne désormais vers autrui d’où surgit une qualité de présence et conscience partagée par les acteurs de la relation vraie. Il y alors une réciprocité qui s’installe, les deux consciences s’unifient sans pour autant perdre leur différence.

Conclusion

Nous venons d’aborder le mouvement, la substance et la relation de réciprocité qui ajoute à la compréhension de la conscience partagée et active. Pour autant, il reste un vide dans la mesure où nous ne voyons pas apparaître clairement la participation de la matière, excepté chez Bergson où apparaît la présence d’une matière vivante perçue conscientisée capable d’accueillir le passage du flux porté par une puissance d’agir. Avec Héraclite tout est mouvement, mais son discours ne dit rien de l’existence d’un lien entre la matière et le mouvement. Spinoza, aborde la substance absolue et fait du corps un attribut de la substance avec lequel l’homme entre en résonance par le média des affects ressentis. Il aborde la substance animée d’une puissance d’agir, mais il n’est pas fait explicitement mention d’un mouvement dans la matière. Enfin, Buber, propose la relation de conscience en acte ainsi que la présence partagée pour atteindre l’ultime. Mais là encore, le corps n’est pas au rendez-vous.

Il faut se tourner vers la phénoménologie de la vie qui revendique son aptitude à sortir des sentiers battus et renvoie le sujet à lui même sur fond perceptif : « Seulement ne sommes nous pas des vivants ? Des vivants au sens d’une vie qui s’éprouve soi- même » (Henry, 2004, p.35). la Vie absolue, nous dit Henry, « est la vie qui à la pouvoir de s’apporter elle-même dans la vie. La vie n’est pas, elle advient et ne cesse d’advenir » (Ibid. p. 34) nous voyons que la vie galopante, en mouvement, s’auto-affecte. Barbaras (1999) dans Affectivité et mouvement, parle d’auto mouvement et de mouvement subjectif pour signifier la poésie de la vie qui se dévoile sous la forme d’un mouvement ontogénique.

Finalement, il ressort que le tact interne, le toucher Sensible, la méditation pleine présence, s’avèrent plus adaptés que l’entendement pour saisir la présence d’un mouvement incarné. Une puissance d’agir dont l’homme n’est pas la cause puisque c’est la nature en tant qu’elle est une force stable qui se meut d’elle-même dans l’intériorité du corps. Après tout Bergson ne dit pas autre chose avec l’élan vital, excepté la différence dans les modalités d’appréhension. Et Buber grâce au surgissement de la présence partagée dans l’acte de relation de réciprocité, touche à l’ultime. L’écoute attentive du corps proposée dans nos pratiques méditatives à valeur de présence qui ouvre à la relation vraie et authentique permet l’immersion dans la totalité de l’Être en mouvement, car il va de soi que la caractéristique du Vivant est d’être absolument mobile dans ses instances.

Bibliographie

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  • Bitbol (2014) La conscience a t-elle une origine ? Paris : Flammarion
  • Bois, (2002) Un effort pour être heureux. Ivry : Point d’appui
  • Bois D. (2001) Le sensible et le mouvement. Ivry : Point d’appui
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  • Spinoza (1954) L’éthique, Idées/Gallimard